Amygdale, pouvoir et biais de décision : ce que la neuroscience révèle du leadership sous pression
- Claire Sverzut

- 8 déc.
- 3 min de lecture
On attribue souvent les dérives du pouvoir à l’ego, au caractère ou à la personnalité. Et c’est parfois juste.
Mais les neurosciences comportementales montrent qu’un autre facteur décisif intervient : l’état neurologique dans lequel ces traits s’expriment.
Une même personne peut exercer son autorité avec clarté dans un contexte…et devenir rigide, défensive ou réactive dans un autre. Ce n’est pas nécessairement la personnalité qui change.
Le cerveau traite le pouvoir comme un enjeu de survie sociale
Le statut, la reconnaissance, l’influence, la légitimité ne sont pas seulement des constructions sociales.
Sur le plan neurologique, ils sont traités comme des enjeux de sécurité. Par exemple, une contradiction en public, une remise en cause de décision, un changement imposé, une perte de contrôle ou de responsabilité.
Pour le cerveau, cette menace de statut active les mêmes circuits que le danger physique.
Donc Perdre du pouvoir = perdre de la sécurité (au niveau neuronal).
Quand l’amygdale prend la main… le pouvoir devient défensif
Lorsque l’amygdale s’active, elle ne cherche ni la vérité, ni la meilleure stratégie. Elle cherche uniquement à sortir rapidement du danger perçu.
Dans les positions d’autorité, cela produit un basculement très spécifique :
le pouvoir cesse d’être un levier de transformation,
il devient un outil de protection du territoire.
On observe alors, de manière très prévisible :
une montée du besoin de contrôle
une baisse de l’écoute réelle
une rigidification des positions
un rejet de la contradiction
une personnalisation excessive des enjeux
Ce basculement du pouvoir vers une posture défensive ne s’arrête pas au comportement visible. Il modifie également la façon dont l’information est traitée par le cerveau.
Autrement dit, lorsque l’amygdale prend la main, ce n’est pas seulement la posture d’autorité qui change…c’est la structure même du raisonnement qui se déforme.
Les biais cognitifs activés par la menace
L’activation élevée de l’amygdale modifie les circuits d’évaluation et réduit l’accès aux traitements cognitifs complexes.
C’est là que se déclenchent plusieurs biais majeurs de décision :
pensée binaire : tout devient “pour ou contre”
biais de confirmation : on ne voit que ce qui conforte sa position
biais de contrôle : illusion que tout peut (et doit) être maîtrisé
aversion au risque… ou au contraire prises de risques défensives
réduction de la complexité : on simplifie ce qui mériterait d’être nuancé
Le paradoxe est là : plus l’environnement est complexe, plus le cerveau cherche à simplifier — et plus il s’expose aux erreurs stratégiques.
Le glissement devient alors organisationnel.
Lorsque ce pilotage défensif dure dans le temps, il ne reste pas cantonné à la posture individuelle du leader. Il s’inscrit progressivement dans les fonctionnements mêmes de l’organisation.
On observe alors :
des processus qui se rigidifient,
des validations qui se multiplient,
une baisse de la prise d’initiative,
des circuits de décision de plus en plus courts,
une tolérance plus faible à l’erreur.
Ce qui, au départ, relevait d’une réponse individuelle à la pression devient un mode opératoire collectif.
Et ce mode est souvent perçu comme “normal”, voire “nécessaire”.
C’est ainsi que des organisations entières peuvent se structurer autour d’un réflexe défensif, sans que celui-ci soit jamais nommé comme tel.
Les symptômes visibles dans les équipes
Lorsque le pilotage défensif s’installe dans l’organisation, ses effets deviennent rapidement perceptibles sur le terrain :
montée du micro-management,
érosion de la confiance,
stratégies de repli,
développement de jeux politiques,
baisse de l’initiative et de la responsabilité.
Les équipes s’adaptent toujours au mode de fonctionnement du sommet.
À l’inverse, lorsque l’autorité s’exerce depuis un état neurologique plus stable :
la parole circule,
les désaccords deviennent productifs,
les erreurs sont traitées comme de l’apprentissage,
la coopération se renforce,
la performance devient plus durable.
Le véritable marqueur de maturité du pouvoir
Le leadership moderne ne se joue plus seulement sur :
la compétence,
la vision,
la rapidité de décision.
Il se joue sur une capacité beaucoup plus discrète : savoir distinguer une décision de vision d’une décision de protection.
Un leader mature neurologiquement peut rester en position de pouvoir :
sans basculer en posture de défense,
sans rigidifier le système,
sans laisser ses biais prendre le dessus.
En conclusion
L’amygdale ne rend pas le pouvoir toxique. Elle révèle ce que devient le pouvoir sous menace intérieure.
Dans les environnements complexes d’aujourd’hui, la question n’est plus seulement :
“Qui décide ?”
Mais de plus en plus :“Depuis quel état neurologique la décision est-elle prise ?”
C’est là que se joue une part essentielle du leadership du XXIᵉ siècle.
Invalues
Allier performance et humanité, en conscience.

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