La solitude du manager : un enjeu systémique et humain
- Claire Sverzut

- 20 oct.
- 5 min de lecture
Une solitude exacerbée par les nouveaux équilibres
On parle beaucoup de leadership, de motivation, de gestion des talents… et de plus en plus de la solitude du manager. Un sujet essentiel, qui résonne particulièrement dans un monde du travail en profonde mutation.
Les générations Millennials et Z remettent en question le modèle hiérarchique traditionnel : elles recherchent davantage de sens, d’autonomie et de coopération, mais beaucoup moins le rôle de manager.
Selon une étude Deloitte, près de la moitié des jeunes travailleurs en Suisse envisagent de quitter leur poste dans les deux prochaines années — signe que les modèles de carrière fondés sur la hiérarchie ne font plus rêver.
Pour les managers en poste, cette évolution crée un nouvel espace de tension :
Moins de relais naturels, car le management attire moins ;
Davantage d’attentes paradoxales : être à la fois performant, humain, disponible et inspirant ;
Et souvent, le sentiment d’être seul face à la complexité, entre les injonctions venues d’en haut et les besoins exprimés par l’équipe.
Cette solitude n’est donc pas seulement émotionnelle : elle est structurelle et culturelle. Elle s’installe dans les espaces où l’on valorise la performance avant la relation, où l’on exige la maîtrise sans offrir de soutien, où l’on parle d’intelligence collective sans toujours la vivre.
Le manque de formation des managers : un rôle mal préparé
Dans de nombreuses organisations, particulièrement en Suisse, on observe que des collaborateurs performants sont promus au rôle de manager sans qu’on vérifie leur appétence pour ce rôle ni qu’on leur propose une formation solide et systématique. Ce “passage” de l’expertise au management est trop souvent improvisé — ce qui contribue fortement à la solitude, à la surcharge et au sentiment d’isolement du manager.
Quelques chiffres suisses
Une étude menée par le cabinet Robert Walters Switzerland révèle que 35 % des managers n’ont reçu aucune formation formelle au management après leur promotion.
Toujours selon cette source, 65 % des nouveaux managers se disent insuffisamment soutenus au moment de leur prise de fonction.
L’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie souligne que le manque d’investissement dans la formation continue est un facteur clé de départ des jeunes talents — un signal qui concerne directement le développement managérial.
Les conséquences directes
Le passage au rôle de manager implique un changement profond de posture : on ne gère plus des tâches ou des résultats, mais des personnes, des dynamiques, des émotions, des contradictions. Sans formation ni accompagnement, le manager est livré à lui-même — dans un rôle où il est censé “savoir” sans qu’on lui ait appris à “faire avec”.
Cette absence de soutien formel accroît la solitude :
“Je dois savoir, je dois faire, je dois décider… mais je n’ai pas été préparé à ces ‘je dois’.”
Dans un contexte où les attentes envers le management sont élevées (hybridation du travail, diversité générationnelle, quête de sens, gestion de la performance et du bien-être), le manque de formation devient un facteur de fragilité émotionnelle et organisationnelle.
Regard systémique — Une solitude inscrite dans le modèle
Dans de nombreuses organisations, la solitude managériale n’est pas seulement individuelle : elle est le produit d’un système. Le manager se retrouve souvent à la croisée des logiques — performance, bien-être, stratégie, court terme — sans toujours avoir la structure de soutien nécessaire.
Les grandes entreprises comme Google ont mené des recherches éclairantes sur ce sujet. Le projet Project Oxygen a montré que les meilleurs managers n’étaient pas les plus techniques, mais ceux capables d’écoute, d’empathie et de clarté. Ce constat a conduit Google à repenser tout son modèle de développement managérial : former les leaders à la relation, pas seulement à la performance.
Des groupes suisses comme Swisscom ou Roche ont également investi dans des programmes de leadership collaboratif et humain, reconnaissant que la performance durable dépend de la qualité du lien — pas uniquement de la stratégie.
Mais dans le monde des PME, le constat est souvent plus nuancé :
Les structures sont plus petites, les niveaux hiérarchiques plus proches, mais les espaces de recul et de partage sont rarement formalisés.
Le manager, souvent aussi expert, décideur et “pompier”, cumule plusieurs rôles sans soutien structuré.
La proximité avec l’équipe peut devenir un piège : difficile de prendre du recul sans se couper du collectif, ou de parler de ses doutes sans craindre d’inquiéter.
Ainsi, que ce soit dans une multinationale ou une PME, la racine du problème est la même :
Le système valorise la maîtrise, la rapidité et la performance, mais offre peu d’espaces pour l’humain, la réflexion et le développement de soi.
Les PME ont cependant un atout majeur : leur agilité et leur capacité à instaurer rapidement des pratiques humaines — cercles de managers, supervision collective, espaces de dialogue — dès lors que la direction en perçoit la valeur.
Dimension personnelle — Estime de soi, confiance et alignement
La solitude du manager se nourrit aussi d’un décalage intérieur : entre ce qu’il fait, ce qu’il montre, et ce qu’il ressent.
Pour tenir dans la durée, il ne s’agit pas seulement d’apprendre des outils de management, mais de développer son estime de soi, sa confiance et son alignement personnel.
Estime de soi : reconnaître sa valeur au-delà du poste ou du regard hiérarchique.
Confiance en soi : accepter de ne pas tout maîtriser, tout savoir, tout décider.
Alignement : relier ses valeurs profondes à sa manière de diriger, pour retrouver du sens et de la cohérence.
C’est dans cet espace d’authenticité que le leadership devient inspirant — non pas parce qu’il est parfait, mais parce qu’il est incarné.
Pistes d’ouverture
Quelques leviers concrets pour réduire la solitude managériale :
Créer des espaces de pairs (groupes de co-développement, supervision, communautés de managers).
Revaloriser la formation managériale dès les premiers mois de la nomination, pas après les premières difficultés.
Donner le droit au doute et à la vulnérabilité, au même titre que la compétence technique.
Encourager l’alignement personnel : un manager bien dans son rôle, aligné avec ses valeurs, diffuse confiance et stabilité autour de lui.
Conclusion — Retisser du lien avec soi et avec le système
La solitude du manager n’est pas une faiblesse : c’est souvent le signe d’une responsabilité vécue pleinement, parfois trop. Elle révèle les tensions d’un rôle à la croisée des mondes, mais aussi la profondeur de ce que signifie “porter” les autres.
Peut-être qu’il ne s’agit pas de chercher à éliminer cette solitude…… mais de la comprendre, de la traverser, et de la transformer en un espace de lucidité, de recul et d’humanité.
Parce qu’au fond, c’est souvent dans le silence des responsabilités que se forge le vrai leadership — celui qui relie, qui écoute, et qui ose rester humain.
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Invalues_Allier performance et humanité
Coaching individuel et collectif, formation Leadership & Management

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